Lancelot est fait chevalier

Le Roman de Merlin (XIIIe s.) par Robert de Boron

Lancelot vivait dans le manoir de Viviane, la Dame du Lac, qui, depuis qu'elle l'avait enlevé à sa mère, la reine Hélène, l'élevait comme son propre fils. Dans cet asile, le plus sûr et le plus secret, il grandissait au milieu d'une compagnie de jeunes damoiseaux et de gentes damoiselles, d'écuyers et de valets. Viviane donna l'ordre à tous de ne point lui révéler ses véritables origines et l'enfant ne s'étonnait pas qu'on l'appelât « Beau Trouvé » ou encore « Fils de roi » ainsi que la Dame du Lac aimait à le nommer.

À l'âge de sept ans, Viviane confia son éducation à un maître qui lui enseigna tout autant les arts de la cour (le chant, la danse, les jeux de cartes et les manières courtoises) que le rude maniement des armes comme il sied à tout futur chevalier. Des années durant, il connut le risque, l'effort et la douleur afin de devenir le meilleur d'entre tous. A cet enseignement de qualité s'ajoutaient les propres vertus de Lancelot : la générosité, la franchise et la loyauté. En outre, on ne pouvait le voir sans être charmé par sa beauté physique : un teint éclatant rehaussé par une bouche bien dessinée et colorée, un front haut, de blonds cheveux souples qui devinrent châtains avec le temps, des yeux bleus, vifs et riants la plupart du temps, mais qui devenaient des braises ardentes sous le coup de la colère. […]

« Fils de roi, lui dit-elle un jour, il est temps que vous soyez adoubé chevalier. Ce serait un crime que de vous retenir. Mais ne partez que le printemps venu. » L'ayant pris par la main, elle l'entraîna dans le parc. Tout en marchant, elle s'adressa ainsi à lui : « Il me faut maintenant vous apprendre les droits et les devoirs d'un vrai chevalier. Porter le beau nom de chevalier, c'est d'abord mettre sa bravoure et son courage au service des faibles et des opprimés. Lutter sans relâche contre l'injustice, le vol et le meurtre, fût-ce au prix de son sang. Le chevalier doit aussi défendre notre sainte Mère l'Église, car ceux qui la servent sont volontairement sans défense pour mieux servir Notre Seigneur. Sachez que tout, dans l'armement du chevalier, lui rappelle les devoirs que je viens brièvement de vous mentionner. Le heaume sur sa tête semble une tour d'où il guette sans répit l'approche du danger. Comme le bouclier et le haubert qui le protègent lui-même, il doit s'interposer entre l'ennemi et les gens d'Église menacés. Sa longue lance signifie la distance qu'il lui faut toujours maintenir entre lui et le mal rôdant par toute la terre. Enfin, si son épée, arme la plus noble entre toutes, possède deux tranchants, c'est pour lui rappeler cette double mission : l'un doit exterminer les méchants et les félons, l'autre doit lui servir contre les ennemis de la chrétienté. Pour finir, le cheval symbolise le peuple. Certes, la monture est au service du cavalier et obéit à sa volonté, mais aucun chevalier n'ignore que son devoir est d'en prendre soin si tous deux souhaitent faire longue route ensemble. »

Pas une seule fois, Lancelot n'interrompit le discours de la Dame du Lac. Attentif, silencieux, il déposait en son cœur ces paroles. Il savait qu'elles le guideraient sa vie durant.

« N'oubliez jamais que la naissance, la noblesse, les titres sont peu de choses pour qui veut entrer dans l'Ordre de la chevalerie. Quiconque détient la seule vraie grandeur, celle du cœur, peut prétendre à devenir et doit devenir chevalier.

       — C'est là ce que je souhaite le plus au monde ! s'exclama alors Lancelot. Mais qui m'adoubera chevalier ?

       — Le roi le plus preux : le Roi Arthur en personne. » [...]

La veille de la cérémonie, Lancelot prit un bain pour se purifier et se vêtit de blanc. Après une nuit passée à la chapelle pour prier, Lancelot se rendit à la messe . Avec tous les autres écuyers, il jura fidélité au roi, à genoux devant l'autel. Puis tous regagnèrent le château où devait se dérouler le festin. A l'issue du repas, sur le perron du château, le Roi Arthur devait leur ceindre l'épée et leur donner la collée. La cérémonie d'adoubement de Lancelot était sur le point de s'achever par la remise de l'épée quand une belle demoiselle fit irruption... Il fallait diligemment se porter au secours de la Dame de Nohant !

Questions

1. Qui sont les parents de Lancelot ? Par qui Lancelot est-il enlevé, puis élevé ?

2. De sept à dix-huit ans, un maître assure l’éducation de Lancelot. Qu’apprend-il au maniement des armes ? Quelles sont les grandes vertus, c’est-à-dire les qualités morales, de Lancelot ?

3. Complétez les deux propositions suivantes :

    1. « Porter le beau nom de chevalier, c’est... »
    1. « Tout, dans l’armement du chevalier, lui rappelle [ses] devoirs. »

4. « La naissance, la noblesse, les titres sont peu de choses pour qui veut entrer dans l’Ordre de la chevalerie.  » Quelle est la seule vraie grandeur ?

5. Qu'est-ce que la cérémonie de l’adoubement ? Qu’est-ce que le Roi Arthur n’a pas eu le temps de faire en adoubant Lancelot ? Qui remettra finalement les armes à Lancelot ?    

Illustrations

(1) Adoubement de Lancelot (entre 1466 et 1470) par les ateliers d'Evrard d'Espinques pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, manuscrit conservé à la BnF. Source : BnF | (2) Gravure du XIXe s.