Laïos, roi de Thèbes, avait appris de l'oracle de Delphes qu'il serait tué par son propre fils et vécut donc longtemps dans une prudente chasteté. Mais, par une nuit d'ivresse, il succomba à la tentation chair et fit un enfant à la reine Jocaste. Trois jours après la naissance, le roi ordonna de faire périr l'enfant et Jocaste chargea de ce triste soin un fidèle esclave. Celui-ci perça les pieds de l'enfant et le suspendit à un arbre sur le mont Cithéron. C'est là que le trouva Phorbas, berger de Polybe, roi de Corinthe. Phorbas le présenta au palais : la reine Péribée, femme de Polybe, qui n'avait point d'enfants, l'adopta, l'éleva comme son fils et lui donna le nom d'Œdipe parce qu'il avait été trouvé les pieds enflés par la blessure et par les liens.
Quand Œdipe fut devenu grand, à l'occasion d'un festin, un de ses compagnons ivre lui reprocha sa naissance illégitime et lui fit concevoir des doutes sur ses origines familiales. Pour éclaircir ce mystère, Œdipe alla consulter l'oracle de Delphes : il apprit que, s'il retournait dans sa patrie, il deviendrait le meurtrier de son père et l'époux de sa mère. Œdipe, qui se croyait fils de Polybe et de Péribée, résolut de ne retourner jamais à Corinthe, afin d'éviter le malheur qui le menaçait et prit la route de la Phocide. Un hasard fatal voulut qu'il rencontrât, dans un étroit sentier, Laïos suivi d'un écuyer unique. Laïos, d'un ton arrogant, lui commanda de lui laisser le passage libre ; ils en vinrent aux mains sans se connaître et Laïos fut tué, de même que son écuyer.
Œdipe, en passant par Thèbes, trouva la ville désolée par le Sphinx. Ce monstre avait la tête et le sein d'une jeune fille, le corps d'un chien, les griffes d'un lion, les ailes d'un aigle et la queue terminée par un dard aigu. Il habitait dans le voisinage de Thèbes, sur le mont Cithéron. C'était Junon qui, pour punir la famille de Cadmus, l'avait envoyé dans cette contrée. De la montagne où il faisait sa résidence, il se jetait sur les passants, leur proposait des énigmes à deviner et dévorait ceux qui ne pouvaient les comprendre. Voici l'énigme qu'il proposait ordinairement : « Quel est l'animal qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir ? » L'oracle avait annoncé qu'il périrait dès qu'on en aurait deviné le sens ; mais personne ne pouvait en venir à bout. Pour faire cesser ce fléau, Créon, qui s'était emparé des rênes du gouvernement après la mort de Laïos, promit la couronne et la main de Jocaste à celui qui dévoilerait la signification mystérieuse. Déjà plusieurs infortunés avaient péri victimes de leur témérité, lorsque Œdipe, plus heureux ou peut-être instruit par l'oracle, expliqua l'énigme. « Cet animal, dit-il, est l'homme qui le matin, c'est-à-dire dans son enfance, se traîne souvent sur les pieds et sur les mains ; qui vers le midi, c'est-à-dire dans la force de l'âge, n'a besoin que de ses jambes, et qui vers le soir, c'est-à-dire dans la vieillesse, a besoin d'un bâton comme d'une troisième jambe pour se soutenir. » Le monstre, furieux de se voir deviné, se précipita du haut des rochers et se fracassa la tête.
Après cette victoire Œdipe monta sur le trône de Thèbes et épousa Jocaste, sa mère, dont il eut deux fils, Etéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène.
Quelques années après, le royaume fut ravagé par la peste. L'oracle consulté répondit que ce fléau ne cesserait que lorsqu'on aurait chassé de la Béotie le meurtrier de Laïos. Œdipe fit des perquisitions, parvint par degrés à dévoiler le double mystère de sa naissance et de son crime, et se reconnut parricide et tout à la fois incestueux. Jocaste céda alors à la honte et au désespoir, et se pendit avec sa ceinture ; et lui-même, arrachant les agrafes du manteau de cette malheureuse, il s'en servit pour se crever les yeux, comme indigne de voir le jour. Il s'écria : « Hé bien ! Destins affreux, vous voici dévoilés ! Je suis donc né de ceux dont jamais je n'aurais dû naître ; je suis l'époux de celle que la nature me défendait d'épouser : j'ai donné la mort à celui à qui je devais le jour... Mon sort est accompli. Ô soleil, je t'ai vu pour la dernière fois. » (Sophocle, Œdipe, acte IV)
Œdipe fut chassé de Thèbes par Créon, frère de Jocaste, qui occupa temporairement le trône et il fut abandonné par ses fils. Œdipe, dans sa douleur, appela sur eux la colère des dieux et partit pour Athènes, accompagné de la seule Antigone qui lui servait de guide. Elle s'attacha au sort misérable de son père : aussi son nom est-il resté comme l'expression la plus vive de la piété filiale chez les anciens.
Un oracle annonça aux Thébains que ceux qui détiendrait Œdipe, ou ses cendres, seraient vainqueurs de leurs ennemis. Ils envoyèrent alors Créon à Athènes pour le prier de revenir ; c'est en vain qu'il employa la persuasion pour engager Œdipe à se rendre aux vœux de ses concitoyens ; Œdipe ne lui répondit que des paroles de colère. Créon voulut alors essayer d'employer la violence ; il fit enlever par ses gens Antigone et Ismène mais, aux cris d'Œdipe et de ses filles, Thésée, roi d'Athènes, arriva, fit respecter celui qui était devenu son hôte et s'empressa de rendre les filles à leur père.
Un oracle avait prédit à Œdipe qu'il trouverait la fin de ses malheurs dans le bois des Érinyes à Colone, non loin d'Athènes. Bientôt après, le tonnerre se fit entendre ; à ce signal, Œdipe reconnut l'approche de sa mort et, lavé de ses crimes involontaires par ses nombreux malheurs, la vit arriver sans effroi. Il alla sans guide dans le lieu désigné par l'oracle ; à peine y fut-il arrivé que la terre s'entrouvrit sous ses pas et l'engloutit ; il disparut d'une manière mystérieuse, laissant aux Athéniens, pour prix de leur généreuse hospitalité, son tombeau qui, suivant les oracles, devait les rendre à jamais vainqueurs des Thébains. La pieuse Antigone retourna à Thèbes où d'autres malheurs attendaient sa famille.